ValeursActuelles.com – “Dire que le capital n’est plus taxé est un mensonge !” Par Frédéric Paya
Michel Rollier, Président de l’Association nationale des sociétés par actions (ANSA) et Président du conseil de surveillance de Michelin, explique que la France reste encore parmi les pays de l’OCDE où la taxation du capital est la plus élevée malgré les réformes de 2018. Entretien.
Valeurs actuelles. La crise sanitaire s’est transformée en crise économique, de plus de plus de personnes réclament le retour de l’ISF ou bien une surtaxation des revenus du capital. Que faut-il en penser ?
Michel Rollier. Cela montre surtout une méconnaissance totale de la fiscalité française sur le capital et de ses profonds effets négatifs sur l’économie. Les Français pensent que parce que le gouvernement a supprimé l’ISF, le capital n’est désormais plus taxé. C’est faux, il l’est encore quatre fois ! Si le Fisc ne taxe plus la détention, le revenu du capital et sa transmission le sont encore : il reste encore l’impôt sur les sociétés prélevé avant le versement des dividendes, la flat tax perçue sur ceux-ci, la flat tax sur les plus-values et les taxes sur les transmissions à titre gratuit, c’est-à-dire les transmissions et les successions. Pour résumer, le capital reste taxé à toutes les étapes de sa vie. Et à un des niveaux les plus élevés d’Europe. Prenons un revenu théorique de 100 euros, il ne reste plus que 70 euros après l’IS et 50 euros une fois que la flat tax sur les dividendes a été payée. Si l’actionnaire décide de vendre, il sera taxé à 30 % sur la plus-value. Dire que le capital n’est plus taxé est un mensonge !
Les réformes fiscales de 2018 qui reposaient sur la « flat tax », la suppression de l’ISF sur les valeurs mobilières et l’amorçage d’une baisse d’impôts sur les bénéfices des sociétés, ont-elles eu des effets positifs ?
Le gouvernement a chargé un comité des réformes de la fiscalité du capital d’analyser les changements intervenus en 2018. Un comité ad-hoc a été créé et animé par France stratégie qui a rendu son rapport en octobre 2020. Pour arriver à ses conclusions, le comité a utilisé un concept de l’OCDE, le taux marginal d’imposition effectif (TMIE), puis a comparé la France avec les autres pays. Dès la première page du rapport, il est écrit que la France est parmi les pays où la fiscalité est la plus élevée en termes de standard internationaux même après les réformes de 2018. Elles n’ont fait que ramener notre pays à un niveau proche de la moyenne : le capital reste taxé, on a simplement mis fin à une anomalie française. On s’est par ailleurs rendu compte des effets extrêmement négatifs de la barémisation des dividendes (taxation à au taux marginal de l’impôt sur le revenu), voulu par François Hollande. Cela s’est traduit par une perte nette de recettes fiscales car les entreprises ont décidé de réduire leurs dividendes puisqu’après impôt il ne restait pas grand-chose pour l’actionnaire.
A-t-on justement une idée des conséquences de cette anomalie ?
Une étude approfondie de Rexecode datant de juillet 2017 s’est intéressée aux conséquences des expatriations fiscales sur 40 ans ; il y aurait eu quelques 18 000 départs. Cet exil s’est tout simplement traduit par une baisse du PIB annuelle de 45 milliards, soit 2 % de la richesse nationale. Quand un objectif de hausse annuelle de 3% du PIB est considéré comme un bel objectif, il pourrait plutôt croître de 5 %. Pour résumer : pour récupérer 3 milliards d’impôts, les gouvernements ont accepté pour satisfaire aux considérations d’une idéologie dominante d’en perdre 45 ! On peut aussi s’intéresser aux effets de la fiscalité sur l’économie. Prenons le nombre d’entreprises de taille intermédiaire (ETI). Il y en a 5 500 en France contre 8 000 en Italie, 10 000 en Grande Bretagne et 12.000 en Allemagne. Si notre pays se plaint de sa désindustrialisation, on peut voir une corrélation étroite entre le nombre d’ETI et la fiscalité. Ce qui a des conséquences sur l’emploi. Imaginez un peu si nous avions 2 000 ETI en plus, chacune employant 600 salariés. Les Français devraient s’interroger sur les raisons du succès allemand : il tient essentiellement à la différence d’imposition des deux côtés du Rhin.
La crise n’est-elle pas un magnifique alibi idéologique pour justifier un retour aux dispositifs antérieurs à 2018 ? Que faudrait-il faire pour relancer l’économie ?
Ces propositions reposent en effet sur de l’idéologie et non pas du pragmatisme. Pour qu’il y ait reprise, il faut que les entreprises aient à leur disposition du capital. Il faut donc veiller à ce que ceux qui détiennent les ressources puissent les allouer aux entreprises. Ce n’est pas avec une nouvelle imposition que l’on y arrivera. Il faut faire sauter le verrou de l’impôt en France.
Le problème ne reste-t-il pas aujourd’hui celui de la transmission du capital ? Que faudrait-il faire ?
Nous avons vu qu’il restait quatre impôts sur le capital et ses revenus. La France se distingue des autres pays européens qui ont tous des franchises plus élevées qu’en France, des taux et des conditions qui permettent aux entreprises de bien se transmettre. La Suède a supprimé les droits de succession et de transmission au nom de l’efficacité économique. Ce serait un bon exemple à méditer.
|