Par une décision QPC n° 2022-1029 du 9 décembre 2022, le Conseil constitutionnel vient de déclarer la procédure d’exclusion prévue par les statuts d’une SAS en application des articles L 227-16 (al. 1)[1] et L 227-19 (al. 2)[2] conforme à la Constitution. Cette décision QPC fait suite à un arrêt du 12 octobre dernier rendu par la chambre commerciale de la Cour de Cassation .
1.- Arrêt du 12 octobre 2022 : application de la loi du 19 juillet 2019 aux SAS créées avant son entrée en vigueur et transmission des QPC. Dans cette espèce, un salarié était associé d’une SAS dont l’une des clauses statutaires stipulait que la qualité d’associé était réservée aux seuls salariés ou aux mandataires sociaux et que, de ce fait, la perte de l’une de ces deux qualités entrainait la convocation de l’assemblée générale des associés afin qu’elle statue sur l’exclusion de l’associé qui ne remplissait plus la condition statutaire. Le salarié, licencié au mois d’octobre 2020, devait donc perdre également sa qualité d’associé. Une assemblée est par la suite réunie au mois de janvier 2021 au cours de laquelle les associés décident, d’une part, de la modification de la clause statutaire afin de la mettre en conformité avec la jurisprudence désormais connue selon laquelle l’associé visé par la procédure d’exclusion peut prendre part au vote et, d’autre part, de l’exclusion de l’associé ayant perdu sa qualité de salarié (celui-ci ayant voté contre cette décision).
Le particularisme de l’arrêt du 12 octobre tenait au fait que cette SAS avait été créée avant la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019, l’associé ainsi exclu arguant dans un premier temps que les dispositions de la loi de 2019 étaient inapplicables à une SAS créée antérieurement à son entrée en vigueur. Pour mémoire, cette loi a modifié l’article L 227-19 du code de commerce qui dispose depuis le 21 juillet 2019 que les clauses statutaires d’exclusion (visées à l’article L 227-16) ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés « dans les conditions et formes prévues par les statuts » (supprimant ainsi l’exigence de « l’unanimité des associés » comme était-ce le cas avant le 21 juillet 2019).
Sur ce point, la chambre commerciale a considéré que la loi du 19 juillet 2019 a pour « objet et pour effet de régir les effets légaux du contrat de société » : dès lors, la loi de 2019, notamment en ce qu’elle modifie l’article L 227-16 alinéa 2, est bien applicable aux SAS antérieurement créées et une clause d’exclusion peut donc, comme en l’espèce, tout à fait être modifiée sans avoir à exiger l’unanimité.
Le second point intéressant l’arrêt du 12 octobre 2022 concernait la conformité à la Constitution des articles L 227-16 et L 227-19 aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Pour rappel, l’article 17 garantit le droit de propriété comme étant « un droit inviolable » et l’article 2 précise que les atteintes à ce droit doivent être justifiée par un motif d’intérêt général et être proportionnées à l’objectif suivi. Le tribunal de commerce de Paris avait donc transmis quatre questions prioritaires de constitutionnalité afin que la chambre commerciale les transmette au Conseil constitutionnel :
- L’article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 alors qu’il porte atteinte au droit de propriété sans nécessité publique ?
- L’article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 alors qu’il porte atteinte de façon disproportionnée aux droits de propriété sans que cette atteinte soit justifiée par un motif d’intérêt général ?
- L’article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 alors qu’il permet, combiné à l’article L. 227-19 du même code, la cession forcée par l’associé de ses actions sans qu’il ait consenti à l’adoption de la clause statutaire d’exclusion l’autorisant ?
- L’article L. 227-19 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 alors qu’il permet la cession forcée par l’associé de ses actions sans qu’il ait consenti à l’adoption de la clause statutaire d’exclusion l’autorisant ?
2.- Décision QPC 9 décembre 2022 : la procédure d’exclusion prévue pour la SAS est conforme à la Constitution. Par sa décision du 9 décembre 2022, le Conseil constitutionnel vient affirmer que les articles L 227-16 et L 227-19 ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété et que le grief tiré de la méconnaissance de ce droit suite à la modification législative opérée en 2019 doit être écarté. Le Conseil constitutionnel relève en effet que :
- ces dispositions ont pour seul objet de permettre à une société par actions simplifiée d’exclure un associé en application d’une clause statutaire ;
- en permettant à une SAS de contraindre un associé à céder ses actions, le législateur a entendu garantir la cohésion de son actionnariat et assurer ainsi la poursuite de son activité ;
- il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que la décision d’exclure un associé ne peut être prise qu’à la suite d’une procédure prévue par les statuts. Elle doit reposer sur un motif, stipulé par ces statuts, conforme à l’intérêt social et à l’ordre public, et ne pas être abusive ;
- l’exclusion de l’associé donne lieu au rachat de ses actions à un prix de cession fixé, selon l’article L 227-18 du code de commerce, en application de modalités prévues par les statuts de la société, ou, à défaut, soit par un accord entre les parties, soit par un expert désigné dans les conditions prévues à l’article 1843-4 du code civil ;
- la décision d’exclusion peut être contestée par l’associé devant le juge, auquel il revient alors de s’assurer de la réalité et de la gravité du motif retenu. L’associé peut également contester le prix de cession de ses actions.
Pour le Conseil constitutionnel, les articles L 227-16, alinéa 1, et L 227-19, alinéa 2, sont donc conformes à la Constitution.
Cette décision QPC fait écho au débat qui avait été introduit à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 2019 concernant le maintien de l’unanimité, certains juristes soutenant que la modification statutaire relative à l’exclusion d’un associé devait être considérée comme une augmentation des engagements des associés. Si pour certains l’article L 227-19 ne pouvait être analysé comme une disposition dérogeant à l’article 1836 du code civil, le Comité juridique de l’ANSA (CJ ANSA du 6 nov. 2019, n° 19-059) et d’autre auteurs considéraient déjà que la clause d’exclusion pouvait être adoptée ou modifiée par les statuts, même si cette décision pouvait être considérée comme une augmentation des engagements des associés avec un élargissement des possibilités d’exclusion.
[1] Article L227-16
Dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions.
Ils peuvent également prévoir la suspension des droits non pécuniaires de cet associé tant que celui-ci n’a pas procédé à cette cession.
[2] Article L227-19
Les clauses statutaires visées aux articles L. 227-13 et L. 227-17 ne peuvent être adoptées ou modifiées qu’à l’unanimité des associés.
Les clauses statutaires mentionnées aux articles L. 227-14 et L. 227-16 ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts.