Par un arrêt du 15 novembre 2024 (n° 23-16.670), la Cour de cassation vient de se prononcer sur les modalités pouvant être fixées par les SAS pour adopter une décision collective. La solution posée par cet arrêt est d’importance car elle venait infirmer ou confirmer la jurisprudence de la Cour.  L’arrêt est donc rendu en Assemblée plénière (formation de jugement la plus solennelle, au sein de laquelle toutes les chambres de la Cour sont représentées).

Les faits. Dans cette espèce, l’article 17 des statuts d’une SAS stipulait que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré. » et, sur ce fondement, les associés avaient décidé en 2015 d’augmenter le capital social par l’émission de nouvelles actions, de supprimer le droit préférentiel de souscription des associés et de réserver l’émission des nouvelles actions à l’un des associés, par 229 313 voix pour (46 %) et 269 185 voix contre (54 %).

Le feuilleton jurisprudentiel. Certains associés avaient alors demandé à la justice l’annulation de cette décision. Les juges du fond avaient d’abord rejeté la demande, avant que la chambre commerciale, dans un arrêt rendu en 2022[1], vienne casser l’arrêt d’appel et poser le principe selon lequel les décisions que les associés d’une SAS doivent prendre collectivement ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur « à la majorité simple des votes exprimés » (50 % des voix).

L’affaire ayant été renvoyée en 2023, les juges parisiens[2] n’avaient cependant pas suivi la solution de la chambre commerciale, énonçant notamment dans leur arrêt qu’il « résulte de l’article L. 227-9 du code de commerce que les associés d’une SAS sont libres de déterminer, dans les statuts, non pas – en l’absence de dispositions expresses – une règle de majorité exigée pour adopter des résolutions dans les matières qu’il énumère, mais les conditions dans lesquelles sont prises les décisions qui doivent l’être collectivement, que ce soit dans les matières définies par les statuts ou visées par son alinéa 2. ».

C’est dans ces circonstances que la Cour de cassation examine l’affaire dans son arrêt du 15 novembre 2024.

Le débat juridique. Dans cet arrêt du 15 novembre 2024, la question soumise à l’Assemblée plénière a été de savoir si les statuts d’une SAS sont libres de prévoir les conditions de prise de décision collective en l’espèce sous la seule condition d’un seuil de votes même sans majorité.

Comme l’indique Monsieur l’Avocat général Lecaroz dans son avis, l’arbitrage doit être rendu entre deux : d’une part, une thèse qualifiée de « restrictive » selon laquelle retenir un seuil d’approbation inférieur à la majorité des voix serait susceptible d’aboutir à des décisions qui pourraient être contradictoires et, d’autre part, une thèse qualifiée de « libérale » selon laquelle l’article L 227-9 accorde aux associés toute liberté pour fixer les formes et conditions de la prise des décisions collectives et que même si l’on peut estimer en pratique imprudent ou inefficace ce type de clause, cela ne suffit pas à en consacrer l’illégalité.

Position du Comité juridique de l’ANSA. Le Comité juridique de l’ANSA avait d’ailleurs été interrogé et la majorité des membres avait estimé que lorsque la loi ou les statuts prévoient une « décision collective », celle-ci doit nécessairement être prise à une « majorité » définie par les statuts.

Solution retenue par l’Assemblée plénière. Rejoignant la thèse dite « restrictive », l’Assemblée plénière indique de façon tout à fait claire dans son arrêt du 15 novembre 2024 que :

« […] 10. Une décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix.

11. Toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d’un même scrutin, deux décisions contraires.

12. La liberté contractuelle qui régit la société par actions simplifiée ne peut s’exercer que dans le respect de la règle énoncée au paragraphe 10.

13. Il s’en déduit que la décision collective d’associés d’une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite. […] »

Il faut donc ainsi comprendre qu’il se déduit des articles 1844 alinéa 1er et 1844-10 alinéas 2 et 3 du code civil et de l’article L 227-9 du code de commerce que la décision collective d’associés d’une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite.

 

 

[1] Com. 17 janv. 2022, n° 19-12.696 FS-D : BRDA 4/22, n° 1 ; JCPE 2022 1091, note B. Dondero ; D. 17 fév. 2022. 342, note A. Couret ; ANSA, Brochure ANSA n° 215-2023 – Journées d’études de l’ANSA, n° 215-2023 et not. Fiche n° I-1 : Revue de jurisprudence 2022 : points marquants

[2] CA Paris, Pôle 5, Chambre 8, 4 avril 2023, RG n° 22/05320